(Flickr / Anil Mohabir)
Cette semaine, enfin seule (voir les autres articles sous le libellé "Nouvelles du front"dans lesquels j'ai montré d'autres facettes du travail d'écrivain), j'ai atteint l'objectif que je m'étais fixé : terminer l'écriture d'un roman commencé il y a des mois. Il s'agit d'un roman jeunesse, plutôt destiné aux 9-12 ans (même si les âges, les goûts et les couleurs...). Qui n'a pas de titre, ni d'éditeur (l'un allant souvent avec l'autre) et que je vais donc me garder de vous résumer pour l'instant. Sachez seulement que le personnage principal s'appelle Léo, qu'il se perd dans les couloirs du métro, et accepte de suivre une dame un peu étrange se faisant appeler Calamity Jane.
Non, non, n'insistez pas, vous ne saurez rien de plus.
J'en entends déjà, au fond, qui s'interrogent. Alors comme ça, quand on écrit un texte, et qu'on en a déjà édité un certain nombre, on n'est pas sûr qu'il soit publié ??
Et bien non. C'est à chaque fois un pari. Je dirais même un risque.
Risquer de passer plusieurs mois sur l'écriture d'une histoire qui, aussi bien, ne rentrera dans aucune case éditoriale.
Risquer, donc, de travailler plus, pour ne gagner "rien", si l'on s'en tient au strict aspect financier du travail (d'un autre côté, quand écrire est un métier... c'est la moindre des choses que de voir le temps d'écriture comme de l'argent).
... Souvenez-vous de ce que disait Roald Dahl... "It's a big decision" !
Oui, c'est une "grande décision", que de choisir de développer une histoire, celle-là et pas une autre, parce que l'on s'engage sur plusieurs mois, et, j'ajouterai (même si je ne crois pas que R. Dahl l'entendait de cette façon), l'on s'engage à travailler sans garantie de salaire.
Quoi ? Salaire ? Non, que dis-je... droit d'auteur.
Soit, la rémunération d'une œuvre de l'esprit. Joli, non ?
Pour faire simple, l'éditeur nous rémunère, en échange du droit que l'on cède à faire usage de notre texte (ou de nos images). Donc le texte reste le nôtre, on ne le vend pas en tant que tel (mais personne n'a plus le droit de l'utiliser, ni pour l'édition, ni pour la BD, ni pour le théâtre, etc.).
Pourquoi j'en parle cette semaine ? Parce que je viens de terminer l'écriture d'un roman. Que j'ai pris le risque ces derniers mois d'écrire cette histoire là, sans savoir si un éditeur s'y intéressera. Mais pas seulement. C'est aussi parce que "la rémunération des auteurs" a justement été l'objet du Forum de la Société des Gens de Lettres (SGDL pour les intimes), cette semaine (vous pouvez voir les vidéos sur le site SGDL TV).
Allez, je n'en ai encore jamais parlé sur ce blog, et pourtant, ceux qui me connaissent savent que c'est un sujet qui me tient à cœur. Alors je vais m'autoriser un article un peu sérieux, pour vous expliquer cette notion de risque.
Qui dit droit d'auteur, dit (rassurez-vous, je ne vais pas être exhaustive, j'aurais trop peur de vous perdre en route) :
1/ Un pourcentage : pour un roman jeunesse, même très long, il varie en général entre 5 et 8%. On peut trouver moins (enfin je suppose), on peut trouver plus, mais la fourchette "habituelle" est celle-là. Soit, pour un exemplaire d'un roman qui sera vendu 10€, entre 50 et 80 centimes qui reviendront à l'auteur (le reste revenant à l'éditeur, au librairie, au diffuseur, etc.). Comme ça n'est pas un "salaire", on ne prend pas en compte le temps passé à l''écriture du texte. On prend en compte le prix public du livre (fixé par l'éditeur). J'ajoute qu'évidemment, s'il y a plusieurs auteurs (ou un illustrateur), ce pourcentage sera divisé entre tous. C'est pourquoi, dans le cas d'un album, chacun se retrouve avec 3 ou 4% (donc 30 ou 40 centimes par exemplaire si le livre est vendu 10€). Parfois même, l'illustrateur touche un plus grand pourcentage que l'auteur du texte (ne me demandez pas pourquoi, cela ne me semble pas être d'une grande logique si l'on part du principe que l'on a cédé le droit de faire usage de notre œuvre et que cette œuvre est autant à l'auteur qu'à l'illustrateur... zut, je m'égare.)
2 / Une avance sur droit (à valoir) : c'est une somme versée à l'auteur en attendant que l'éditeur puisse savoir avec exactitude combien d'exemplaires du livre seront vendus dans l'année qui suit la publication. Donc, là aussi, on se base sur le prix du livre, ainsi que sur le tirage. Pas de fourchette, c'est très très variable, puisque cela dépend du prix du livre en question, mais aussi de la renommée de l'auteur, entre autres (en fait, à tort ou pas, de son "potentiel commercial"). Ainsi, certains auteurs n'obtiendront que 800€ pour un roman quand d'autres en obtiendront 2000€ ou plus (en jeunesse, précisons... en littérature générale c'est souvent davantage, même pour des débutants). Cette somme est censée représenter un an de vente du livre, elle reste acquise à l'auteur, il n'a pas à rembourser en cas de ventes médiocres (manquerait plus que ça). En revanche, elle doit être "comblée", avant que l'auteur ne puisse toucher quoique ce soit de plus les années suivantes (d'où l'importance du pourcentage... plus il est haut, plus l'avance est comblée rapidement). Donc il arrive parfois qu'un livre ne rapporte rien de plus à son auteur que cette avance sur droits. En effet, la durée de "vie" d'un livre est de plus en plus courte (parfois 2-3 ans seulement), certains éditeurs préférant publier de nouveaux titres plutôt que de faire perdurer les anciens. Donc cette durée de vie peut ne pas être suffisante pour que l'auteur rattrape l'avance qui lui a été versée : le livre est soldé (or l'auteur ne touche rien sur les exemplaires soldés comme précisé habituellement dans le contrat d'édition) ou mis au pilon avant.
3/ Une rémunération annuelle (et non mensuelle) : comme je l'expliquais au-dessus, l'éditeur attend une année avant de calculer ce qu'il doit à l'auteur. Ce dernier touche donc une avance, mais ensuite, il doit attendre un an avant de toucher quoique ce soit de plus (et parfois, donc, comme expliqué au-dessus, rien). Sachant que certains éditeurs ponctionnent en plus, sur ces droits d'auteur, une "provision sur retours" la première année... C'est un pourcentage censé représenter la quantité de livres qui seront fatalement retournés par les libraires (donc, invendus). Bien entendu, si ce chiffre a été surestimé, rassurez-vous, on rend à l'auteur ce qui lui revient (mais l'année d'après, soit deux ans après la parution du livre).
Autant vous dire que, sauf succès certain, le montant des droits d'auteur sur un seul livre jeunesse, la première année, est rarement un chiffre à plus de deux zéros. Que dis-je, la première année... Plutôt, la première année et demi... Car si les comptes sont arrêtés au bout d'un an, le paiement, lui, arrive rarement immédiatement (souvent entre 3 et 6 mois de délai).
Autant vous dire que, sauf succès certain, le montant des droits d'auteur sur un seul livre jeunesse, la première année, est rarement un chiffre à plus de deux zéros. Que dis-je, la première année... Plutôt, la première année et demi... Car si les comptes sont arrêtés au bout d'un an, le paiement, lui, arrive rarement immédiatement (souvent entre 3 et 6 mois de délai).
Il y aurait encore beaucoup à dire... pourcentages de droits d'auteur réduits de moitié en cas d'édition poche... droits numériques réduits à la portion congrue... Si le sujet vous intéresse, rapprochez-vous des organisations ad hoc (Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse, SNAC BD, SGDL...).
Je voulais surtout, à travers cet article, et cela me semblait juste de le faire cette semaine, vous dire une chose importante :
Ecrire est un risque, que l'auteur prend, seul, et constamment. Alors certes, il n'a pas à engager de frais quand il écrit. Et encore... il doit éventuellement imprimer, ou proposer son texte à l'éditeur par courrier (= frais d'envoi), acheter un nouvel ordinateur quand le sien ne fonctionne plus, puisque les éditeurs n'acceptent plus de manuscrits "faits main"... Quant aux illustrateurs qui ne travaillent pas directement en numérique... il faut bien qu'ils dépensent de quoi acheter les peintures, le papier... Enfin, soyons "souples", et disons que l'auteur n'engage pas de frais.
Mais c'est oublier qu'il prend un risque majeur : celui de "perdre son temps" de travail (qu'il aurait pu utiliser en exerçant une activité salariée, par exemple). D'une part parce que rien ne dit que son texte sera édité, mais aussi parce que rien ne dit que les ventes suivront (or... sur ce point... l'auteur ne peut pas grand chose, la diffusion et la communication autour du livre n'étant pas, théoriquement, de son fait).
Mais c'est oublier qu'il prend un risque majeur : celui de "perdre son temps" de travail (qu'il aurait pu utiliser en exerçant une activité salariée, par exemple). D'une part parce que rien ne dit que son texte sera édité, mais aussi parce que rien ne dit que les ventes suivront (or... sur ce point... l'auteur ne peut pas grand chose, la diffusion et la communication autour du livre n'étant pas, théoriquement, de son fait).
C'est un peu comme si vous passiez des mois à travailler sur un projet et qu'ensuite votre employeur vous disait "non, finalement, je crois qu'on ne va pas le faire, donc désolé mais vous n'aurez pas de salaire du tout pour ces six derniers mois". A ceci près que l'auteur peut éventuellement choisir de présenter ce projet à d'autres, bien sûr (et heureusement... d'où l'importance de l'absence de "clause de préférence" dans les contrats...car sinon, le risque est total).
Ou comme si votre employeur choisissait de poursuivre le projet, et d'engager des moyens financiers pour le faire, mais qu'il vous donnait l'équivalent d'un mois (voire moins) de salaire (sachant, donc que vous y avez travaillé six mois), et qu'il attendait ensuite un an afin de connaître les retombées financières du projet, et de vous verser la suite (ou pas, donc).
(pour continuer dans les parallèles... je vous conseille le blog "Mon maçon était illustrateur et il a gardé de bonnes habitudes"... à la fois drôle et... édifiant !)
(pour continuer dans les parallèles... je vous conseille le blog "Mon maçon était illustrateur et il a gardé de bonnes habitudes"... à la fois drôle et... édifiant !)
Ah, mais suis-je bête, le droit d'auteur n'est pas un salaire. Soit. C'est sans doute bien comme ça.
Mais quand j'entends dire que l'éditeur "prend tous les risques" (ce qui n'est pas juste une querelle de chapelle mais justifie parfois un pourcentage minimal, une avance réduite, et j'en passe), j'aimerais bien qu'on m'explique en quoi ça n'est pas un risque que de passer des mois à écrire pour jeter ensuite son texte dans l'océan éditorial, comme une bouteille à la mer. Surtout quand on a choisi d'en vivre (c'est fou, je sais, je devrais avoir honte).
Et vous savez ce qui me fait peur (car ceci est une conséquence possible de cela) ?
Qu'un jour, écrire devienne à jamais un hobby. Que personne (à part oui, peut-être quelques auteurs "bankable") ne puisse plus choisir d'en faire son métier (je ne dis pas rêver de millions, non, juste en faire un métier).
Car alors... imaginez à quoi ressemblera votre librairie... un étalage des mêmes noms, encore et encore : vous n'aimez pas Untel ou Untelle ? Tant pis, il n'y a plus qu'eux qui peuvent se permettre de passer un an à écrire un roman. Vous cherchez des livres sortant des sentiers battus, pour votre enfant ? Nous sommes désolés, ça ne se vendait pas assez pour que leurs auteurs puissent consacrer leur temps à les écrire, prenez donc un Martine !
Comment ça, vous l'avez déjà ??
(Rassurez-vous vous pourrez quand même générer de fausses couvertures)
Car alors... imaginez à quoi ressemblera votre librairie... un étalage des mêmes noms, encore et encore : vous n'aimez pas Untel ou Untelle ? Tant pis, il n'y a plus qu'eux qui peuvent se permettre de passer un an à écrire un roman. Vous cherchez des livres sortant des sentiers battus, pour votre enfant ? Nous sommes désolés, ça ne se vendait pas assez pour que leurs auteurs puissent consacrer leur temps à les écrire, prenez donc un Martine !
Comment ça, vous l'avez déjà ??
(Rassurez-vous vous pourrez quand même générer de fausses couvertures)
Pour prolonger ces réflexions, allez donc faire un tour sur le blog d'Eric Wantiez... et notamment sur son article, posté juste en même temps que le mien (comme quoi, les temps sont durs) :
"Ecrire, une vocation..."
"Ecrire, une vocation..."
Eh bien ! Je ne savais même pas que la provision sur retours ne s'appliquait que la première année ! Merci pour cet article, très intéressant !
RépondreSupprimerattention, il faut vérifier à chaque fois... c'est comme tout, ça fait partie des choses à négocier.
RépondreSupprimerLa vache, tu enfonces bien le clou! Attention aux doigts: on en a encore besoin pour écrire...
RépondreSupprimerEn fait je n'ai pas l'impression d'enfoncer le clou... juste d'informer, de dire les choses telles qu'elles sont. Non ?
SupprimerMerci pour ton passage ici !
arrêtes de te plaindre, c'est un métier-passion. Et puis au pire il restera les livres des peoples écrits par des nègres en écriture... :)
RépondreSupprimerMême si je saisis tout le second degré de ton commentaire (^^), sache que je ne me plains pas du tout, en fait, je fais juste savoir comment tout ça se passe ! Non je me plains pas, j'ai choisi ce métier (quoique si c'est une passion, alors nous sommes de pauvres victimes, car une passion, ça se subit, ça ne se choisit pas !... Vaste débat...), mais c'est un métier assez ingrat d'un point de vue financier, alors certes, je le sais et je l'accepte (enfin, dans certaines limites), mais qu'on ne vienne surtout pas me dire que l'éditeur prend tous les risques.
Supprimerextra
RépondreSupprimerje vais l'imprimer et me l'encadrer.
Tu veux un tiré à part dédicacé ?
Supprimeroui
SupprimerMerci d'avoir écrit tout ça. Vivre de l'écriture, ah comme j'aimerais ça, malheureusement ce n'est pas le cas et loin de là. Et les factures tombent quand même et aussi bien souvent la baisse du moral lorsqu'on a passé des mois à écrire un texte (où on y a laissé ses trippes) pour n'avoir trop souvent que des "non", alors: Est-ce qu'on a écrit pour rien? Est-ce qu'on a écrit de la M? Faut-il continuer à écrire? Ben , oui parce que c'est plus fort, c'est un besoin, c'est une évidence, c'est une envie d'en faire son métier.
RépondreSupprimerTu sais, je ne prétends pas que toutes les personnes qui écrivent doivent vouloir en faire un métier... J'ai déjà croisé des auteurs talentueux, ayant une autre activité professionnelle, et très heureux de cette double casquette. Ce que je défends, en revanche, c'est la possibilité d'en faire un métier, à part entière. Parce qu'alors... pourquoi existe-t-il encore des jardiniers ? Des cuisiniers ? C'est vrai, quoi, ils pourraient se contenter de faire ça le week-end, non ? A-t-on besoin de toutes ces professions, finalement ?...
SupprimerJ'aime beaucoup ce commentaire : "Tu sais, je ne prétends pas que toutes les personnes qui écrivent doivent vouloir en faire un métier... J'ai déjà croisé des auteurs talentueux, ayant une autre activité professionnelle, et très heureux de cette double casquette. Ce que je défends, en revanche, c'est la possibilité d'en faire un métier, à part entière. Parce qu'alors... pourquoi existe-t-il encore des jardiniers ? Des cuisiniers ? C'est vrai, quoi, ils pourraient se contenter de faire ça le week-end, non ? A-t-on besoin de toutes ces professions, finalement ?..." Remarque précise, et précieuse ! Bravo Anne-Gaëlle...
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerUn grand merci à vous pour ce billet ! La question de la rémunération des auteurs est un sujet qui m'est cher et je crois utile de dire ce qui est pour que cesse l'idée que nous serions grassement payés. Je partage votre article sur ma page Facebook.
Bonne jour à vous,
Cy Jung, écrivaine
Merci pour ce commentaire ! Et, oui, partagez, avec plaisir :)
RépondreSupprimerMerci pour cet article très clair. Je le partage sur ma page Facebook également.
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